En attendant les barbares est une immersion dans la noirceur de l’empire colonial. L’histoire pourrait se dérouler pendant la guerre d’Algérie, l’apartheid ou lors d’un autre conflit lié à la colonisation. La pièce explore l’infamie et les rapports, parfois ambigus, entre les classes. Dans la profonde salle du Vieux colombier, nous voilà plongé dans l’obscurité des relations humaines. L’adaptation et la mise en scène du roman de J.M. Cotzee, En Attendant les barbares ont été réalisés par un duo de jeunes metteurs en scène. Depuis leur sortie du conservatoire national d’art dramatique en 2015, Camille Bernon et Simon Bourgade ont co-créé plusieurs spectacles. Ces initiatives ont interpellé le directeur du Français, Eric Ruf, qui leur a ouvert les portes de la prestigieuse maison de Molière pour cette création.

Au milieu du désert, un Magistrat administre une cité. La propagation d’une rumeur d’invasion par des barbares révèle la crainte de l’autre et sème la violence. Un colonel tortionnaire est mandaté par l’Empire pour contrer cette hypothétique attaque. Le Magistrat accueille une jeune barbare torturée pour mendicité. Dénoncé par ses concitoyens, il est à son tour emprisonné et torturé par les militaires.
Un récit universel
Trois figures du colonialisme se dessinent autour d’un bourreau (le colonel), d’une barbare (la mendiante) et d’un colon (le Magistrat). Trois personnages centraux pour esquisser l’universalité des conflits coloniaux respectivement interprété par Stéphane Varupenne, Suliane Brahim et Didier Sandre. La distribution de la pièce est complétée par d’autres comédiens aussi formidables. Les références historiques étant gommées, la mise en scène scrute les relations triangulaires entre les bourreaux, les autochtones et les colons.

Quelques lueurs dans l’obscurité
La scénographie apparaît sur deux plans. Une partie basse, au niveau de la scène, composée d’un terrain boueux où se situe la prison des militaires. Une partie haute, où loge le Magistrat. Un découpage horizontal symbolisé par l’âpreté et la violence en partie basse et la tranquillité et l’intime en partie haute.
Une relation charnelle se développe entre le Magistrat et la barbare dans un écrin soyeux et velouté. Une caméra saisie les sentiments à travers des close-up sur les visages. Par un jeu de fragmentation et de duplication, on perçoit l’intime. Les visages ainsi augmentés flottent délicatement au-dessus des scènes de violence.

L’austérité du récit est ainsi atténuée par ces tableaux d’une remarquable poésie. Des éclats lumineux dans une profonde obscurité dont fait également partie l’écriture majestueuse de J.M. Cotzee.
En Attendant les barbares se joue au théâtre du Vieux Colombier jusqu’au 3 juillet.
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